CINELLI Rosa

Doctorante

Université Côte d’Azur

Discipline : Sciences de l’Information et de la Communication

Ecole Doctorale : Sociétés, Humanités, Arts et Lettres

 

Sujet de thèse : Un monde d’empreintes. L’épistémologie de la preuve visuelle entre médias numériques et virtuels

Sous la direction de Marcin Sobieszczanski et de Matteo Treleani
Première inscription en Thèse : Octobre 2021

 

Résumé :

Tout au long de l’histoire des images mécaniques – dont la première est certainement la photographie – la capacité de l’image à adhérer à son objet ou référent a influencé son positionnement dans les théories esthétiques, artistiques et sémiotiques. La référentialité, entendue par Roland Barthes comme « l’ordre fondateur de la photographie », était considérée comme la pierre angulaire d’une définition ontologique précise de l’image et a contribué à créer un lien entre les images générées mécaniquement et leur statut d’images véritables. Néanmoins, aujourd’hui, de nouvelles pratiques médiatiques telles que la réalité virtuelle, les images de synthèse en CGI et les images alimentées par l’Intelligece Artificielle (comme la « machine vision ») remettent de plus en plus en question le paradigme épistémologique de ce qui constitue une preuve visuelle. Du journalisme immersif et visuel aux pratiques médico-légales et aux enquêtes fondées sur les données, on assiste à un vaste panorama dans lequel les images photographiques se mêlent de plus en plus aux images informatiques, créant des configurations perturbantes qui remodèlent les régimes de la visualité ainsi que notre économie de l’information. Cette classe polymorphe d’images composites peut parfois être définie comme une visualisation, une composition ou un assemblage, des concepts complexes qui impliquent différentes théories et archéologies. Un nouveau type d’imaginaire remet en question les outils traditionnels utilisés pour décrire les images photographiques et filmiques, comme, par exemple, le concept même d’indice peircéen. S’il est vrai qu’un sentiment de scepticisme total à l’égard de l’image – souvent prophétisé par les détracteurs de la révolution numérique – n’a pas complètement pris le dessus, il est possible d’affirmer que la procédure qui permet de considérer une image comme un fait visuel semble découler de plus en plus d’un mécanisme rhétorique basé sur le contexte plutôt que garanti par la genèse technique de l’image. Ce changement, apparemment très subtil puisqu’il n’entraîne pas une transformation radicale du point de vue pragmatique, constitue néanmoins un nœud très riche sur le plan théorique car il suggère un passage du plan ontologique au plan rhétorique du discours. L’ontologie traditionnelle de l’image photographique en tant qu’empreinte véridique – voire sacrée – doit-elle être définitivement abandonnée ? Des préoccupations éthiques peuvent également être soulevées lorsque ce régime visuel hybride est considéré dans son agencement socio-politique. Les pratiques journalistiques contemporaines, telles que le journalisme visuel et les domaines émergents de l’esthétique forensique, imposent de nouveaux défis aux enquêtes. En utilisant largement les dispositifs dits « algorithmiques », ces expérimentations aspirent à conférer une pleine visibilité à des phénomènes sociopolitiques complexes, allant des conflits humanitaires et des migrations à la crise écologique. Re-signifiant ce que Paul Virilio appelait déjà « machine vision », une dimension posthumaine très problématique s’ajoute à la pertinence très humaine des preuves visuelles. Ce « tournant forensique » des études visuelles – ou, plutôt, le « tournant visuel » des investigations forensiques – propose de nouvelles interrogations à l’esthétique et aux théories des médias, puisqu’une partie importante des enquêtes vise à rendre sensible et évident ce qui, jusqu’à présent, était considéré comme une « simple » chose, comme la poussière soulevée lors d’une explosion, les fissures dans les murs d’un bâtiment ou les schémas de croissance des arbres dans les forêts . D’autre part, si l’on considère ce qui semble constituer un pôle plus sensationnaliste du champ d’application, les expériences proposées par le domaine du journalisme immersif en réalité virtuelle se caractérisent par l’idée de rendre compte d’épisodes d’actualité, en fournissant au spectateur non seulement un rendu hyperréaliste de son objet, mais aussi de lui donner l’impression d’assister à la scène de l’événement. La vraisemblance des mouvements sensorimoteurs permis par le dispositif de tête, la plausibilité de la reconstitution et la réponse émotionnelle et empathique de l’expérimentateur confèrent un sentiment de quasi-réalité qui est lié à une très forte sensation de présence. Le sentiment de « quasi » présence suggéré par ces images hors cadre crée un présent en perpétuel déploiement, qui semble réactualiser le « ça a été » barthésien avec des formes d’immédiateté : « je suis là », « cela est », « ça se passe maintenant ». Cependant, ce sentiment de présence ne va pas sans les risques de ce qui a été considéré comme des formes d’empathie « toxique », soulevant à nouveau la question de la représentabilité des souffrances d’autrui ainsi que des problèmes de pouvoir et de distribution du regard. En contemplant ce spectre de pratiques, de nombreuses questions peuvent être soulevées : assistons-nous à l’affirmation d’un nouveau type de régime visuel régulant le domaine de la vérification basé autant sur une hyper-stimulation de la réponse emphatique que sur une élision de la sensibilité du sujet ? A quels type d’images faudra-t-il croire, à l’heure de l’hybridation croissante entre la photographie « traditionnelle » et des nouvelles images technologiques ? Comment ces nouveaux développements dans le domaine de l’image affectent-ils la relation – depuis toujours glissante – entre le document et le genre artistique du documentaire ? Et plus généralement, est-il encore possible de parler d’images, ou faut-il renoncer à ce concept pour en adopter un autre ? Ce projet de doctorat vise à tenter de répondre à ces questions en considérant l’épistème de la photographie et ses remédiations dans l’écologie médiatique contemporaine. Une attention particulière sera accordée au concept sémiotique d’indice ainsi qu’à ceux de trace, d’empreinte et de document. S’inspirant des études de la culture visuelle et des approches de l’archéologie des médias, ce projet vise à articuler un cadre théorique qui comblera ces lacunes de la recherche, et il entend ce faire en adoptant une méthodologie interdisciplinaire combinant le domaine de la philosophie des medias, de la sémiotique et de l’esthétique de la photographie.