BOVYN Thomas

Doctorant

Université Côte d’Azur

Discipline : Sciences de l’Information et de la Communication

Ecole Doctorale : Sociétés, Humanités, Arts et Lettres

 

Sujet de thèse : La scène rap féminine française : de la médiatisation à l’invisibilisation ?

Sous la direction de Nicolas Pélissier
Première inscription en Thèse : Janvier 2020

 

Résumé :

La musique rap est désormais incontournable dans le paysage médiatique français. On peut la fuir ou la réclamer, difficile aujourd’hui d’en réchapper tant les médias usent et abusent des rappeurs dans leurs actualités. Mais si les médias aiment revendiquer leur objectivité, les nombreuses études menées en sciences humaines sur le sujet ont déjà montré comment leur travail est soumis à divers enjeux et responsabilités qui dépassent bien souvent le cadre de l’impartialité (Bourdieu, 1996). Ainsi, le regard que porte les médias sur le rap oriente la doxa (Bourdieu, 1980). Lors de nos premières recherches en master, nous avons travaillé sur l’apparition aujourd’hui assumée du « pop-rap », porté par des artistes qui font la Une des grands médias généralistes : parmi eux, rares sont les femmes. Un constat qui détermine une vision tronquée de la culture hip-hop, répandant l’idée que le rap est un milieu réservé aux hommes. Un stéréotype construit dès les premières promotions médiatiques du rap et se nourrissant quotidiennement des choix éditoriaux racontant une histoire de ce genre musical. Absence de rappeuses donc, mais aussi promotion de la misogynie et du sexisme, de la « culture du clash » et d’une violence presque « propre » aux rappeurs (Béthune, 2004)… En plus de trente ans d’existence médiatique, le rap s’est vu coller une image grossièrement caricaturée, très loin de la réalité des scènes de concert underground et du monde des artistes indépendants (Hammou, 2014). Il est temps de se demander pourquoi l’invisibilisation des rappeuses perdure pour le grand public. Car malgré ses critiques et ses détracteurs, le rap connait un succès populaire important et devient une incarnation contemporaine de la culture de masse, en oubliant les femmes. Les stéréotypes de genre dans le rap sont donc répandus et légitimés par les grands médias nationaux. Pour autant, la scène féminine de la musique hip-hop existe, depuis toujours, et perdure en renouvelant constamment ces codes. Certaines rappeuses se réapproprient l’esthétique misogyne promue en masse dans les médias et viennent nourrir un empowerment feminin assumant les stéréotypes sexistes pour les afficher comme un étendard d’une condition sociale : le Female gaze questionne et repousse ainsi les normes (Sauvage, 2017). Mais cette posture artistique, comme beaucoup d’autres, n’est pas promue en masse. Dans les faits, le grand public a accès à la culture rap selon des biais précis regroupant des critères de sexe, de race et de condition sociale : les hommes, non-blancs, des banlieues populaires. A ce titre, les femmes sont d’office excluent de la scène médiatique nationale. Seules les rappeuses non blanches et affichant « une posture masculine » semblent avoir les faveurs des médias (Dalibert, 2018). En ce sens, nous percevons les nombreux obstacles qui séparent une artiste d’une carrière professionnelle tournée vers le grand public. En étudiant le monde du jazz, Marie Buscatto avait déjà mis cela en exergue cela dans son livre Femmes du jazz : musicalités, féminités, marginalités. Ainsi, nous pouvons voir que le monde de la musique, comprenant les industries musicales et les médias, est un espace extrêmement genré qui ne fait pas des femmes, des figures stables et légitimes (Perrenoud, 2007). Il apparait donc que l’invisibilisation médiatique dont souffrent les rappeuses, et qui se construit sur des stéréotypes genrés, participe activement à la marginalisation perpétuelle des femmes artistes. Et si quelques rappeuses parviennent à percer l’écran au cours d’une décennie, la représentation inégalitaire des sexes à l’écran, à la radio ou à la Une des journaux, démontre au mieux une réelle méconnaissance de la culture hip-hop et de ses acteurs fondamentaux, au pire une volonté d’invisibiliser les femmes et de leur retirer la parole dans l’espace public.